Sur les rives du lac Titicaca

“Et maintenant les enfants, on va en direction du plus haut lac navigable du monde, entre la Bolivie et le Pérou.
-Comment il s’appelle ?
-Le lac Titicaca.
-Pffff, hihihi, Titicaca….”
Et nous voilà partis pour une semaine de créativité verbale car sur les rives du lac Titicaca, on s’en met plein les yeux et avec deux enfants de moins de cinq ans, plein les oreilles aussi…

Après notre semaine dans la région de Cochabamba, nous avons passé notre plus haut col, à 4500m d’altitude, et pris la deux voies qui file sur l’altiplano jusqu’à La Paz, la fausse capitale de la Bolivie. Nous y avons passé trois jours, à 4000m d’altitude, pris le téléphérique qui survole la ville, déambulé dans les ruelles et acheté nos cadeaux souvenirs (oui, il était temps de s’y mettre…).

La vallée de la Luna, au Sud de la Paz

Charangos, instruments traditionnels, autrefois faits avec une carapace de tatoo

Nous étions contents de quitter l’effervescence urbaine pour aller visiter le site de Tiwanaku. Il s’agit du site archéologique le plus important de Bolivie. Tiwanaku était la capitale de la civilisation du même nom, dont on sait peu de choses mais qui s’étend sur 28 siècles environ, de 1600 av JC à 1200 de notre ère. On peut visiter aujourd’hui le centre cérémoniel dédié à leur dieu créateur Viracocha. Il reste très peu de murs mais les statues, qui ressemblent beaucoup aux moais de l’île de Pâques, sont très intéressantes. C’est en les découvrant qu’un chercheur européen du milieu du 20ème siècle a décidé d’organiser une expédition pour prouver que les îles du Pacifique avaient été peuplées depuis l’Amérique du Sud : c’est ce que l’on nomme l’aventure du Kon-tiki.

Quelques kilomètres plus loin, nous avons aperçu les eaux bleu-vert du lac Titicaca, entre champs et sommets enneigés, non sans émotion car il est des lieux qui font partie de notre mythologie personnelle et qui nous font rêver depuis l’enfance… Le petit port de Copacabana (rien à voir avec l’homophone brésilien) a accueilli notre premier coucher de soleil sur les bords du lac. Nous avions prévu d’aller sur l’Isla del Sol, lieu majeur de la cosmogonie inca. Le lendemain matin, à l’aube, quand nous nous sommes retrouvés devant l’embarcation, nous avons pourtant renoncé : 90 touristes sur un bateau en bois avec des trous dans le plancher laissant voir l’eau à travers, aucun gilet de sauvetage, pas l’ombre d’un canot ; on s’est dit que l’esprit d’aventure et de découverte s’arrêtait là où commençait la mise en danger de nos enfants (il y a quand même régulièrement des accidents et l’île est à 3h de bateau). Bien sûr, la probabilité d’avoir un accident était faible mais, en cas de problème, notre probabilité de survie dans une eau à 5°C avec deux enfants qui ne savent pas nager l’était encore plus. Pour se consoler, on a fait du pédalo dans un cygne géant jaune et vert (pas de photos bien entendu, ça s’appelle l’estime de soi…). La petite ville touristique de Copacabana est aussi un grand lieu de pèlerinage en Bolivie car elle abrite une statue de vierge très vénérée dans tout le pays. Nous n’avons malheureusement pas pu assister à une bénédiction de voitures devant la cathédrale car ce n’était pas le bon moment mais c’est une coutume très établie en Bolivie où personne ne paye d’assurance ; à la place on va à Copacabana faire bénir son véhicule…

Après un petit mois très agréable en Bolivie, nous sommes entrés au Pérou, non sans peine. Les policiers et douaniers péruviens ont très mauvaise réputation parmi les voyageurs et nous avons pu confirmer l’information au bout de 10 secondes sur le territoire !

Depuis quelques temps, le gouvernement péruvien a en effet décidé d’imposer une assurance de véhicule spécifique au Pérou, que l’on appelle le SOAT. Une fois arrivés au bureau des douanes, côté péruvien, le douanier de garde nous a fait entrer dans son bureau pour nous expliquer que deux possibilités s’offraient à nous (et à lui…) : aller acheter le SOAT en ville, à quelques kilomètres en taxi, ou payer 50 dollars pour passer sans, en toute discrétion bien sûr. Hors de question pour nous de payer pour passer une frontière. Nous retrouvons à ce moment-là, par hasard, Marc et Barbara, deux Suisses allemands que nous avions rencontrés à La Paz. Nous prenons un taxi tous ensemble. Marc flaire l’arnaque et se demande si le seul bureau de vente de SOAT va nous ouvrir ses portes. Il avait une bonne intuition : nous arrivons devant l’office, il est fermé et le monsieur à qui l’on demande l’heure de réouverture est très agressif avec nous. C’est le mari de la gérante, il nous annonce que sa femme ne vend plus de SOAT. Nous revenons donc au poste frontière et on commence à comprendre : les douaniers ont sans doute mis la vendeuse de SOAT sous pression pour qu’elle arrête d’en vendre et que les touristes motorisés aient le choix entre graisser la patte du policier ou faire 200km en taxi pour acheter une assurance à Puno, la ville la plus proche : c’est machiavélique mais très efficace. On fait alors un conseil de guerre pour savoir s’il faut repasser par La Paz pour rejoindre un autre poste-frontière, plus grand, ou attendre le lendemain pour le changement de douanier. Comme nous n’avons rien à perdre, que je suis amusée autant que consternée et que je ne nourris aucune sorte de peur de l’uniforme, je leur propose de tenter ma chance. Avec un éthos de touriste naïve et polie, j’ai ainsi joué pendant trois heures avec ce douanier prêt à vendre son âme pour quelques dollars pendant que les trois autres faisaient des paris sur le vainqueur. C’était grotesque, un jeu d’escrime à coups de manipulation rhétorique de part et d’autre. J’ai bien failli perdre mon mari d’une crise de rire au milieu de mon chapitre sur la probité et l’honneur du métier de douanier au service de son pays et du bien commun. J’ai failli craquer après avoir obtenu de passer pour 3 dollars mais Etienne, qui ne marchande pas ses principes, a relancé la partie. De guerre lasse, le douanier, qui voyait les heures défiler, m’a finalement accordé la victoire : il nous a fait un laisser-passer gratuitement et à contre-coeur. Epuisés par la petite saynète qui nous a immobilisés tout l’après-midi, nous sommes partis sans demander notre reste pour éviter un revirement de situation : bienvenidos in Peru !

Nous avons fêté notre victoire franco-suisse sur le bord du lac, devant un beau feu de camp. On a ensuite pris un bain de tourisme de masse lors d’une excursion aux îles Uros. Ce sont des îles flottantes faites en totora, le roseau du lac, habitées depuis l’invasion inca (14ème siècle env) et transformée aujourd’hui en décor carton pâte pour les touristes. La mise en scène était un peu ridicule mais le lieu intéressant et assez photogénique. On a aussi fait de beaux bivouacs dans des endroits plus sauvages, en compagnie de nos compagnons de fortune frontalière et goûté aux truites du lac, cuites au barbecue sur la plage…

Nous avons vraiment beaucoup aimé les quelques journées passées sur les rives de Titicaca, au milieu des travaux des champs du début d’hiver et on a aisément compris pourquoi les civilisations pré-colombiennes de la région en avaient fait l’origine et le centre du monde. On aurait aimé rester encore plus longtemps mais les semaines sont un peu comptées pour nous dorénavant et on avait très envie d’aller faire un tour dans la vallée sacrée de Cuzco et de voir par nous-mêmes si le Machu Picchu est aussi époustouflant que ce qu’on en dit…

 

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8 réponses à Sur les rives du lac Titicaca

  1. Sophie dit :

    Et nous, on a payé une amende de 20 euros chacun pour être restés 5 jours de trop en Bolivie! On n’avait pas vu le tampon de la douane “STM 30″…

  2. Delphine M dit :

    Bravo! à bas la corruption!! Dorénavant, je t’appellerai Cicero!
    Hâte de voir le Machu!! Gros bisous à vous quatre.

  3. Laporte dit :

    L’une des photos me fait penser à un album de Tintin L’oreille cassée…
    C’est toujours aussi passionnant (et drôle!) de vous lire!
    On attend la suite!
    Des bises depuis la canicule lyonnaise

    • ea2c dit :

      Tintin et l’oreille cassée c’est vrai, mais aussi Tintin et les 7 boules de cristal, Tintin et le temple du soleil dans le prochain article… j’ai lu qu’Hergé n’a pourtant jamais mis les pieds en Amérique du Sud.

  4. Élodie dit :

    Mon premier post…que de belles richesses : humaines, aventures, paysages, etc.
    On vous reconnaît bien là, fidèles à vos convictions, bravo !

  5. Rita Mueller dit :

    Ihr Lieben,
    ich habe heute nochmal reingeschaut in eure tollen Reisebeschreibungen und bin noch immer begeistert ueber eure Fotos – die Berichte zu lesen ist anstrengend. Ich habe begriffen, dass die peruanischen Zollbeamten und Polizisten keine freundlichen Menschen sind…
    Wir haben uns sehr gefreut, als Dominique uns viel ueber seinen und Laurences Besuch bei euch erzaehlt hat und uns viele schöne Fotos gezeigt hat. Jetzt geht eure Reise bald zu Ende und wir hoffen, dass bis zum Schluss das Glueck mit euch sein wird.
    Liebe Gruesse von Rita und Detlef

  6. Beauchamp dit :

    Je te reconnais bien là, camarade !

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