Bodø, terminus du ferry en provenance des Lofoten, marque le retour à la civilisation pour nous et la fin du Grand Nord. Nous n’avions pas roulé sur une deux voies depuis des semaines, ni croisé autant de grands magasins. L’exotisme se loge parfois où on ne l’attendait pas. Nous passons voir le plus grand maëlstrom du monde à quelques kilomètres de là avant de commencer la route côtière 17. Elle est restée longtemps la seule voie d’accès Nord/Sud et compose avec la géographie particulière de cette fine portion du pays. Elle passe tantôt sur terre et tantôt sur mer. Bison II roule au milieu des moutons qui ont définitivement remplacé les rennes, les paysages marins défilent sous nos yeux, encadrés par des sommets effilés. On aperçoit une langue du glacier Svartisen, le 3ème plus vaste du pays. A chaque ferry, la chorégraphie est désormais bien rodée : on se gare sur une des lignes d’embarquement, pour quelques minutes ou quelques heures selon la chance du jour et notre capacité d’anticipation, on monte à bord, les enfants font le tour du bateau et nous rejoignent au “salong” pour un temps d’école ou de jeu de société tout en admirant la vue dans une douce odeur de bacon grillé et de gaufres au fromage brun. Prendre le bateau ici c’est aussi banal que de monter dans un métro à Paris.



Nous faisons halte dans l’archipel de Vega, oublié des circuits touristiques et pourtant classé à l’UNESCO au titre du patrimoine culturel que représente le ramassage traditionnel de la fourrure des eiders, oiseaux du grand froid qui viennent là pour nicher. Pour garantir de bonnes conditions thermiques aux œufs puis aux oisillons, les parents matelassent le nid avec un duvet qu’ils arrachent de leur plumage et que les habitants ramassaient traditionnellement après la migration pour en faire des édredons (d’où l’étymologie), vendus dans toute l’Europe. Une rando a été aménagée à flanc de falaise avec un escaliers en bois de 2000 marches, la Vegatrappa. Nous sommes chanceux, elle vient juste de rouvrir après un éboulement qui a endommagé une partie du circuit. La Norvège a fait appel à des sherpas népalais pour construire ce type de chemins à escaliers un peu partout sur son territoire. Ici, ce sont les habitants qui ont financé et réalisé l’escalier, et chaque marche porte le nom d’un donateur. Du sommet, on peut admirer la myriades d’îlots entre lesquels sillonnent des kayaks. On savoure le calme de cette petite île rassérénante.


L’arrêt suivant est à Trondheim, 3ème ville du pays. Comme dans la plupart des villes norvégiennes, les maisons traditionnelles sont en bois colorés. Sa cathédrale gothique Nidaros est réputée dans le pays pour abriter la tombe de St Olav, viking notoire et descendant d’Harold 1er, qui fit du christianisme la religion officielle de la Norvège. C’est là que les chemins de pèlerinage norvégiens, dont le Gudbrandsdalen qui relie Oslo à Trondheim, le plus célèbre, convergent. La Réforme protestante largement adoptée par le pays a mis un coup d’arrêt au culte des saints mais ce pèlerinage mi-spirituel, mi-patriotique a survécu, sorte de Compostelle avec ciré, gants et pulls en laine. Il traverse notamment le parc national du Dovrejfell, l’un des plus hauts du pays qui abrite les derniers rennes sauvages et bœufs musqués du continent. Comme, par principe, on ne refuse jamais l’occasion d’une belle rando, on brave la pluie pour partir sur les traces de ces animaux des hauts plateaux. La végétation est rase, le sol est détrempé, nous sommes seuls au milieu des moutons, pas vraiment sauvages ceux-là. La lande vert de gris nous enveloppe de silence. Le goûter est dans le sac à dos et nous avons promis aux enfants qu’il serait dégusté au chaud dans une hutten au terme du chemin. Celle-ci est particulière : c’est un point d’observation qui a été confié à un cabinet d’architecte. Sa ligne épurée, son design scandinave nous accueillent trempés. Un peu partout sur le territoire norvégien des éléments architecturaux contemporains permettent d’admirer le paysage (abris, promontoires, passerelles panoramiques), l’alliage est souvent surprenant mais assez réussi en général.




C’est sur les hauteurs du fjord de Geiranger, l’un des plus célèbres et des plus visités, notamment par d’immenses paquebots, que nous retrouvons la Foll’Odyssée. Nous avions rencontré Amaury et Servane en Macédoine du Nord. Ils voyagent en Europe avec leurs quatre enfants pendant 6 mois. Nous avions gardé contact et savions que nous routes se recroiseraient plus au Nord. Nous passons deux belles journées ensemble : rando jusqu’à un petit lac de montagne, pique-nique avec hygrométrie maximale qui ne dilue pas pour autant la joie de tout le monde, échanges sur les expériences respectives du voyage depuis mars, sur nos vies, nos projets, partie de pêche en bord de fjord, dîners partagés à 12. Les enfants sont en autonomie complète et débordent de créativité. La disponibilité intérieure conférée par l’état de voyageur permet, comme souvent, de faire l’impasse sur les conversations sociales pour aller directement au cœur de l’échange, le tout accompagné d’une Wasa au fromage en tube. Pendant que les enfants règlent les derniers détails de la colo Poudlard qu’ils ont programmée en terre bretonne, nous nous disons au revoir avec la ferme intention de faire se recroiser nos routes un jour. Les macareux moines nous attendent.




C’est plein Est, sur la petite île de Runde, que nous allons les observer. Le détour est conséquent et nous ne sommes pas certains d’en voir mais nous tentons notre chance. Nous partons sur un sentier qui nous mène sur les hauteurs de l’île, en fin de journée, pique-nique dans le dos, et arrivons au bord d’une falaise vertigineuse. Au loin, des taches brunes tournoient à une vitesse folle : ils sont là ! Nous nous frayons un chemin entre les rochers pour nous approcher et surprise, des centaines de macareux sont installés tout autour. Muets, nous savourons le spectacle qui s’offre à nous. Les oiseaux vont et viennent sous le soleil couchant, se posent à quelques centimètres de nous parfois. La soirée est hors du temps. Sur la route qui nous mène au bivouac, de l’autre côté de l’île, une dizaine de cervidés nous observe, tout proches, altiers. Lorsqu’on se gare, un magnifique arc en ciel apparaît dans une lumière rose brumeux tout à fait irréelle. Nature symphonique.



L’eau sous toutes ses formes : après la mer, la pluie, les lacs, nous nous frottons à la glace. Le glacier Jostedalsbreen est le plus grand d’Europe. Nous nous arrêtons au bord du lac glaciaire d’Oden, dans le second camping de notre voyage, et profitons des kayaks et pédalos à disposition pour nous balader sur l’eau. Sous les rayons de soleil, avec les moraines en arrière plan, le cadre est vraiment magnifique. Les enfants se font des copains de jeu norvégiens. Le lendemain, nous nous approchons à pied d’une moraine aux reflets bleutés. Elle recule sous l’effet bien tangible du réchauffement climatique.



Sur la route de Bergen, nous découvrons le Sognefjord, le plus long d’Europe, et son bras le plus étroit, le Naerfjord. A Undredal, petit village qui a vu naître le fromage de chèvre brun, au goût caramélisé, nous passons la journée avec Alexandra, Sébastien et leurs trois filles que nous avions rencontrés en Albanie. Avec plaisir, nous relisons ensemble nos mois de voyage. La Norvège est décidément riche en rencontres et retrouvailles avec d’autres familles voyageuses pour nous. Rendez vous prix pour la Suède et le Danemark car Alexandra et Sébastien ont le même parcours de retour que nous, Bison II file à Bergen, ville hanséatique et second centre urbain du pays. Nous nous insérons dans le flux touristique pour découvrir les maisons en bois colorées de son quartier historique et son marché aux poissons. Notre trajet à rebours de L’Express côtier, ce bateau qui relie Bergen à Kirkenes, à la pointe extrême orientale du pays, s’arrête là.



Nous découvrons les églises en bois debout typiques du Sud de la Norvège, notamment la stavkirke d’Heddal, la plus grande. Elles ont été édifiées au Moyen-âge, au moment de la christianisation du pays et comportent des éléments architecturaux d’influence viking (barques, dragons). Nous retrouvons la nuit. L’obscurité est encore assez courte mais nous sommes contents de la revoir après toutes ces semaines sous le soleil de minuit, nous avons moins l’impression d’être en état d’éveil perpétuel.






De cascades en cascades, de plateaux désertiques en torrents, nous arrivons à Olso. C’est l’été, nous l’avions presque oublié. Il fait chaud, les terrasses des cafés et les plages sont bondées. Nous déambulons dans les rues de la capitale. Les bâtiments ne sont certes pas très beaux mais il se dégage un certain charme dans ce centre ville très aéré. Dans le hall de l’opéra, nous voyons une affiche annonçant la représentation diurne de Made in Oslo de la Jo Strømgren Kompani. Il reste des places, nous sautons sur l’occasion. Pendant qu’Etienne et Mahault discutent avec un couple d’Indiens en voyage, j’emmène les trois grands vibrer devant de la danse contemporaine. Après des mois sans spectacle vivant, c’est tellement bon ! La séance est un succès, les trois enfants ressortent contents et nous sommes invités à Mumbai.
Juste à côté, nous visitons le nouveau musée Munch, conçu pour abriter les oeuvres de l’artiste. La scénographie est agréable et ménage des espaces d’interactivité pour les enfants. La toile la plus célèbre, Le Cri, volée à deux reprises de manière rocambolesque, est exposée par intermittence du fait de sa fragilité. Nous l’admirons à heure fixe. Je prends ma dose de culture et les enfants de jeux vidéos. Une salle, des poufs, un vidéoprojecteur, des manettes, des toiles de Munch et des cibles à éliminer : l’art de faire aimer l’expressionnisme.







Après une nuit au pied de la rampe de ski construite pour les JO de 1952 nous quittons définitivement la Norvège, un saumon fumé dans le frigo et des souvenirs pour longtemps. Nous aurons passé presque un quart de notre voyage dans ce pays à la beauté brute, des cabanes samis au rues d’Olso, du Nord au Sud, au royaume des Tesla et de la rando. D’ailleurs, Mahault ne s’y trompe pas puisque c’est ici qu’elle fait ses premiers pas. Prochaine étape : la Suède des grands lacs.


