Pourquoi voyager au long cours en famille ?

L’ensemble de cette section s’adresse principalement aux futurs voyageurs, à ceux qui passent des heures devant l’atlas de leurs toilettes ou à zoomer au bout du monde sur Google Earth, à ceux qui rêvent d’aller se frotter à l’ailleurs et d’embarquer toute leur petite famille dans une maison motorisée. A partir de notre expérience (modeste par rapport à ceux qui partent deux, trois, quatre ans) et des échanges avec les voyageurs rencontrés, nous avons voulu partager quelques réflexions et bons conseils sous forme d’un bilan.

Pourquoi partir ?

Les racines d’une décision de voyage un peu long sont propres à chacun, ce sont les raisons du cœur plus que celles du cerveau, cela ne s’argumente pas vraiment je trouve et doit demeurer du domaine du for intérieur. Il y a les raisons d’avant le voyage, conscientes, et celles qui émergent au fur et à mesure.

Il y a des voyageurs qui partent pour faire une pause, une sorte de respiration au sein d’une vie trop pleine, pour voir grandir leurs enfants et prendre du temps avec eux, pour découvrir d’autres espaces, se découvrir eux-mêmes, pour  répondre à leur soif d’aventures, pour rompre avec un quotidien qui ne leur offrait plus vraiment de possibilité de s’adapter, de se réinventer, pour se rendre disponible à l’inconnu, à la rencontre, pour se mettre en quête de l’essentiel ou le retrouver, pour vivre une vie plus simple, pour consolider leurs liens familiaux, pour vivre une expérience particulière, pour élargir leur champ visuel, par curiosité. A mon avis, peu partent avec l’idée de « consommer du site touristique », nous n’en avons pas rencontrés en tout cas, et ils doivent sans doute vite être rattrapés par les vraies raisons qu’ils avaient enfouies.

Cette citation très connue de L’Usage du monde de Nicolas Bouvier paraît résumer tout cela « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. (…) La vertu d’un voyage, c’est de purger la vie avant de la garnir.»

Pourquoi partir en famille ?

Au moment où l’on préparait notre voyage de sept mois, on nous a parfois posé la question, qui nous a plongés dans un abîme de perplexité « Et vous emmenez vos enfants ? », incroyable !

Oui, notre projet était justement de voyager avec nos enfants, en famille, aussi incongru que cela puisse paraître à certaines personnes. On voulait prendre du temps pour les voir grandir, leur faire découvrir d’autres horizons, les éveiller à la diversité du monde, les confronter à d’autres réalités, etc.

Bon alors bien sûr il y a des jours où tu renverrais bien tes progénitures à leurs grands-parents par colis postal, où tu bénis l’invention de l’école et de la crèche, où tu te dis qu’il faudrait canoniser toutes les mères (et les pères) au foyer, où tu prendrais volontiers un vol sans retour pour une plage des Bahamas, où tu aimerais avoir perdu l’intégralité de tes capacités auditives… mais ces moments-là sont rares et anecdotiques, ils sont un peu inévitables quand on vit 24h/24h ensemble dans quelques mètres cube. Bien sûr, voyager avec ses enfants c’est fatigant, mais c’est aussi et surtout, merveilleux !

Les enfants, a fortiori en bas âge (et blonds), sont un formidable sésame pour rencontrer des gens ! En Argentine, on ne pouvait pas marcher plus de deux minutes dans la rue sans que l’on vienne nous parler, qu’on nous sourit, qu’on ébouriffe tendrement les cheveux de nos enfants, qu’on s’extasie devant notre sac à dos porte-bébé. Sur les hauts plateaux boliviens, où les gens ont une assez mauvaise réputation auprès des voyageurs, les matrones chapeautées prenaient notre fils sur leurs genoux, les vendeuses offraient des fruits aux enfants sur les marchés, engageaient la conversation avec nous, acceptaient que l’on négocie les prix. Je pense que nous n’aurions pas fait le quart des rencontres de notre voyage sans nos enfants. Nous en aurions sans doute fait d’autres, bien entendu, mais le fait de voyager en famille a apporté beaucoup de spontanéité. Tout à coup, tu es moins un touriste, un riche Occidental (en Bolivie), tu es une mère/ un père de famille et tout de suite une connivence s’installe, une sorte d’attendrissement universel. Pour autant, cette attention prêtée aux enfants n’a jamais été intrusive, personne ne nous a jamais demandé de les prendre en photo par exemple.

D’une manière générale, on a trouvé que le lien aux enfants était très simple dans les pays que nous avons traversés. Les mères allaitent leurs enfants, souvent un peu grands, sans que personne ne s’offusque d’un millimètre de poitrine découvert, on propose très volontiers son aide pour aider une mère de famille. On sent que les enfants sont considérés comme une bénédiction pour la société et non comme une nuisance.

Cependant, nous pensions que les rencontres avec d’autres enfants allaient couler de source, et cela n’a pas été le cas. Pleins de naïveté utopiste, nous nous disions avant de partir que la langue ne pouvait pas être un frein aux jeux d’enfants. En réalité, cela a été plus compliqué que prévu, hormis en Argentine, et surtout en Bolivie, dans les petits villages où les enfants n’avaient pas l’habitude de voir des « gringos ». La couleur de peau, le fait de parler une langue étrangère ont été des obstacles.  Faire des efforts pour mettre les enfants dans des situations de socialisation a été une de nos priorités pendant le voyage. Nous avons ainsi essayé de cultiver les rencontres avec des familles de voyageurs, souvent francophones. Et à chaque fois, c’était une vraie joie pour nos enfants !

Je pense qu’il s’agit un peu là du point aveugle du voyage au long cours. Sans être un obstacle, c’est une problématique dont il faut être conscient avant de partir à mon avis pour que cela se passe sans trop de heurts car les enfants ont quand même besoin de cultiver des relations stables.

Pourquoi diantre partir avec des enfants trop jeunes pour garder en mémoire tout ce qu’ils auront vécu ?

« Quel est l’intérêt de partir avec des enfants qui ne garderont pas vraiment de souvenirs de ce qu’ils ont vu ? » : voilà une question à laquelle tous ceux qui prennent la décision de partir avec des enfants en bas âge sont sans doute confrontés.

Si on conçoit l’expérience du voyage comme une longue ribambelle de paysages de cartes postales et de sites culturels majeurs mis bout à bout pendant des mois, comme une course effrénée à la fabrication de beaux selfies à poster sur sa page Facebook, alors oui effectivement c’est un peu dommage de vivre cela avec des enfants en bas âge et on comprend que certains considèrent que c’est même du « gaspillage ». Mais justement nous n’avons pas voulu vivre cela avec les nôtres (qui le voudrait ?).

Quand vous faites une promenade ou une sortie cinéma avec votre petit vous vous posez la question du souvenir qu’il en gardera, vous ? Vous le faites pour partager un moment de qualité avec lui, nourrir votre relation, lui offrir une expérience qui va le faire grandir. Vous le faites parce que c’est la vie, et non pas pour rentabiliser la sortie en espérant qu’il en garde des souvenirs haute définition sur papier brillant dans son cerveau.

De quoi un tout-petit a –t-il besoin ? D’amour et d’eau fraîche. Ses parents et un bon filtre à eau en somme ! Plus sérieusement, un tout-petit a besoin de la présence aimante de ses parents, de se nourrir des liens affectifs qui l’entourent, de découvrir avec ses cinq sens, d’entrer en interaction avec son environnement pour se construire, de sécurité et d’habitudes, etc. Tout ce qu’offre un voyage finalement.

Notre fils avait 18 mois au moment du départ. Il a passé plus d’un quart de sa vie en voyage, de manière complètement naturelle. Des parents et une grande sœur toujours à proximité, une fantastique air de jeu en 3D (notre camion), des sourires à chaque coin de rue (une cote de popularité pendant sept mois à faire pâlir un président de la République), de bons petits plats maison à déguster, des animaux rigolos, des expériences à faire, une vie sans contrainte d’horaires : sa vie nomade a été un bonheur de chaque jour à en croire sa bonne humeur continuelle. Bien sûr, il ne gardera pas de souvenirs très précis des paysages qu’il a vus. Le voyage aura pourtant participé à la construction de sa personnalité et aux acquisitions motrices, cérébrales, émotionnelles, esthétiques même qu’il a réalisées, ce qui laissera sans doute une empreinte, aussi infime et nébuleuse soit-elle, dans celui qu’il deviendra.

En réalité, je dirais que non seulement ce n’est pas un frein de voyager avec des enfants en bas âge mais que c’est même une période particulièrement adaptée (pas d’école, pas d’amitiés fortes à quitter, plus de capacité à se faire aux nouvelles habitudes, pas de crise d’ado…).