Au milieu des cactus

“Maman, je pars en voyage. Apolline, sourire déterminé aux lèvres, a mis son petit sac à dos, avec un doudou, une lampe, un gâteau.
_ D’accord, tu vas où ?
_ En Amérique du Sud.
_ Et tu emmènes ton frère aussi ?
_ Oui, on part tous les deux en stop.
_ ?!…”

C’est tout de même en compagnie de nos deux enfants (auxquels nous avons expliqué qu’à 4 et 2 ans, ils étaient encore légèrement jeunes pour leur propre road-trip américain, d’autant qu’il est difficile de faire du stop avec son siège-auto sous le bras…) que nous sommes revenus en Argentine.

Nous avons passé la frontière à hauteur de Mendoza, sur une très belle route qui culmine à 3200m d’altitude et qui serpente entre les sommets des Andes. Ceux qui connaissent le Ladakh auront, comme nous, l’impression de voir des paysages familiers. Ce n’est pas pour rien si de nombreuses scènes de Sept ans au Tibet, de J-J Anaud, ont été tournées ici.
Au détour d’un virage, nous avons aperçu l’Aconcagua, le plus haut sommet du continent américain, chapeauté de nuages. Etienne a soufflé ses bougies dans ce décor minéral, mettant un point final à la triplette d’anniversaires du mois d’avril.

Anciennes thermes au pied de l’Aconcagua.

Tiens ! Une décharge de bouteilles à ciel ouvert ! Non ! Explications plus bas.

La magnifique vallée d’Uspallata, juste après la frontière. Des paysages magnifiques !

Nous avons retrouvé la route 40 à Mendoza, pour ne (presque) plus la quitter jusqu’en Bolivie. Les couleurs automnales de la vigne sur fond de montagnes enneigées nous ont accueillis dans la capitale argentine du vin et de l’olive. C’est la première fois depuis 4 mois que nous mangeons des olives dignes de ce nom, un délice.

Mendoza et San Juan, sa voisine, se déploient au pied des Andes, dans un désert qui contraste avec les vignes et les champs d’oliviers, implantées au 19ème siècle par les immigrés Italiens et Français. Peu après Mendoza, nous avons croisé la route d’une famille belge qui commence un voyage de deux ans en Amérique du Sud et qui revenait d’une semaine sur l’Ile de Pâques, ce qui nous a bien donné envie (même si je pense que ce sera pour une autre fois). Nous avons partagé un pique-nique ensemble au milieu du désert, avant que nos routes ne bifurquent.

Nous étions très contents de revenir en Argentine. Nous avons fait de très belles rencontres au Chili, nous y avons découvert des endroits merveilleux. Cependant, je ne sais pas si c’est parce que l’Argentine a été le premier pays d’Amérique du Sud dans lequel nous avons mis le pied mais on se sent vraiment bien ici, et pas seulement parce que la sieste y est une institution… Cela n’engage que nous, à partir de nos rencontres, des hasards et je ne me risquerais pas à tirer pour autant des conclusions généralisantes sur le “caractère” d’un pays mais simplement la spontanéité des rencontres autour d’un maté et la légèreté que l’on ressent ici nous conviennent bien.

Après San Juan, nous sommes passés par le formidable sanctuaire de la Difunta Correa, ce qui nous a permis de lever le voile sur ces petits abris ensevelis sous des montagnes de bouteilles en plastique remplies d’eau qui jalonnent les routes argentines (aux côtés des hommages rendus au gauchito Gil, dont nous avons déjà parlé). La Difunta Correa aurait traversé le désert avec son nouveau-né pour suivre son jeune époux parti à la guerre (nous sommes à la fin du 19ème siècle). Elle est morte en chemin et la légende dit que son bébé aurait survécu allaité de profundis. Petit à petit, les habitants du cru lui ont attribués des pouvoirs, des guérisons. Le sanctuaire s’est développé, malgré l’opposition de l’Eglise et de l’Etat. Et il est épatant. Imaginez un chemin couvert de plaques d’immatriculation, de bielles, de cardans, de diplômes, de maisons en miniature avec le nom des propriétaires menant à une colline, en plein désert.

On entre dans une salle et là, on tombe face à une représentation de la Difunta Correa, au paroxysme du kitsch : une jeune femme, robe écarlate et maquillage à faire pâlir d’envie une danseuse du Moulin rouge, posture lascive et décolleté ouvert sur un enfant au sein dans une grotte mariale saturée de plaques de remerciements, de chapelets, de photos. Le syncrétisme éblouit : c’est la louve romaine en talons aiguilles, la Vierge à l’enfant version Almodovar.

Bon, j’arrête là le cynisme car des milliers d’Argentins, surtout des camionneurs, se placent sincèrement sous sa protection et qu’on ne voyage pas pour tourner ne ridicule les croyances des autres…

Un peu plus au Nord, nous avons visité le parc Ischigualasto. Dans ses terres façonnées par le vent et l’eau, les plus vieux squelettes de dinosaures ont été découverts, au milieu des concrétions rocheuses qui redoublent de créativité morphique.

Le sphinx.

Le terrain de pétanque !

En faisant route 40 buissonnière, nous avons découvert de belles maisons et églises en adobe (terre + paille), dont certaines de plus de deux siècles. Au détour d’un bivouac, à côté d’une petite église en adobe isolée, nous avons rencontré Mike, un Anglais d’une cinquantaine d’années qui voyage d’Ushuaïa en Alaska à bord de son fourgon aménagé par ses soins. Et, magie du voyage, de discussion technique en itinéraires, tu te retrouves devant un asado et tu finis par passer une journée entière, trois adultes et deux enfants, dans la boue, à faire de la poterie cuite au soleil avec la terre rouge, au milieu de nulle part, parce qu’Apolline voulait reconstituer les poupées en terre cuite de son livre Cropetite : impropable.

Le créativité s’exprime.

En briques de pierres et 300 ans d’âge !

Au fur et à mesure que nous remontons la route 40 en direction du Nord, la culture indienne se fait de plus en plus présente. Nous avons visité notre premier site inca à El Shinkal. Il s’agit de la plus grande cité inca du Nord argentin, reliée à Cuzco par le fameux chemin de l’Inca, classé à l’Unesco. Le site a été abandonné après l’arrivée des Espagnols et il ne s’est pas très bien conservé mais l’atmosphère y est particulière et la visite nous a beaucoup plu. A Belen, des tisserandes ont bien voulu nous ouvrir les portes de leur coopérative et les enfants ont pu découvrir des métiers à tisser et les différentes étapes de la fabrication artisanale d’un poncho.

Aïe ! Ça pique !

Nous avons retrouvé des températures très agréables, entre 25° et 30° C (pas mal pour un milieu d’automne) dans cette région réputée pour être la plus chaude du pays.

La colline de la Lune, lieu sacré pour les Incas d’El Shinkal

Almacen (épicerie) au milieu de nulle part ! Mais où l’on trouve de tout !

Après quatre mois de voyage, nous sentons que nous nous laissons de plus en plus modeler, déplacer par le voyage. Les gestes du quotidien ont été intégrés et nous semblent naturels. Bison nous paraît de plus en plus grand et nous nous sentons bien dans ce cocon sur roue. Chacun des caractères de la famille (et pour sûr il y en a des caractères dans cette famille ;)) se transforme à sa mesure. Cela se manifeste parfois de manière inattendue. Quand toi qui n’a jamais ouvert le capot d’une voiture de ta vie, ni changé de roue, toi qui ne sais absolument pas comment fonctionne un moteur ou à quoi sert l’huile de vidange, tu entends sortir de ta propre bouche, de ton plein gré, une phrase comme “Et vous, vous pensez faire comment avec le FAP et la vanne EGR de votre camion en altitude ?” à une personne que tu connais depuis 15 mn, c’est à ce moment précis que tu prends conscience qu’il s’est passé quelque chose… Le voyage un peu long est aussi une belle école de confiance : en soi, en tes compagnons de route, en l’autre, en la vie.

Bientôt des nouvelles de la région de Salta !

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Une réponse à Au milieu des cactus

  1. cecile guillier dit :

    Un bien joli article et de bien belles photos !
    Nous sommes en train de nous rapprocher : vous remontez vers nous, et nous sommes de part et d’autre en route pour plus de soleil (nous vers l’été et vous vers les tropiques)
    Bises à vous 4 et à Jules

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