Ça y est, nous avons récupéré Bison ! Il est fringant et frétille d’impatience à l’idée d’avaler les kilomètres sur l’asphalte sud-américaine. Nous avons pris la route vendredi soir, après une journée harassante. L’administration uruguayenne nous a en effet offert une odyssée dans ses bas-fonds que l’on n’oubliera pas. A côté de ça, le rectorat fin juillet, c’est de la rigolade. Nous vous proposons un compte-rendu par le menu, âme sensible s’abstenir.
Analepse :
Mercredi : départ de Buenos Aires pour Montevideo avec la compagnie Colonia express, en bateau puis en bus. Nous arrivons en fin de journée dans la ville de Lautréamont, au charme décati. Nous avons, sans le savoir, réservé un appartement Air bnb dans le bâtiment emblématique du centre : le Palazo Salvo sur la Plaza Independencia, au cœur de la capitale. Construit au début du 20ème siècle, il a été le plus haut immeuble d’Amérique du Sud pendant longtemps. Certains auteurs l’ont comparé à une girafe faisant porter son long cou vers la mer, à quelques rues de là.
Comme à Buenos Aires, le mobilier, la décoration, les odeurs de naphtaline nous plongent dans les années 70 (que nous n’avons pas connues au demeurant, mais comme on les imagine en tout cas). L’arrivée de notre bateau est prévue pour le lendemain matin. Plan de bataille pour la ribambelle de papiers officiels qu’il nous faut obtenir avant de récupérer Bison. Repos du guerrier anticipé.
Jeudi : préparation physique et mentale pour la journée qui se prépare.
- Etape n°1 : Arrivée à 8h30 devant le Bureau national de la Migration. Il y a déjà une file d’attente, nous prenons place et attendons l’ouverture. 9h, ouverture des portes, on prend un ticket comme à la boucherie et on attend son tour. Quand ledit tour arrive, enfin, discussion avec l’employée, papier, découverte qu’il ne s’agit pas du bon papier, discussion avec le chef de centre, buté et revêche, argumentation, victoire. Sortie 2h plus tard avec le Certificado de Llegada qui prouve que nous sommes des touristes et que le camion que nous nous apprêtons à faire sortir de l’Atlantique n’est pas un objet commercial.
- Etape n°2 : Nous nous dirigeons ensuite vers le bureau de Grimaldi pour payer les frais du transitaire (je suis un peu concrète au passage, si ça peut aider de futurs adeptes des expériences administratives de l’extrême). Là, la dame de l’accueil nous annonce que le bateau n’arrive en réalité qu’en fin de journée et qu’on ne peut rien faire avant le lendemain matin. On s’acquitte néanmoins de la modique somme de 666 dollars, le montant est diaboliquement chargé, on aurait dû se méfier.
Finalement assez soulagés à l’idée de faire les étapes en deux journées, on repart et on profite de l’après-midi de liberté pour visiter un peu la ville et rencontrer une autre famille française qui attend son camping-car, avec deux filles de 4 et 2 ans. Les enfants sont contents de jouer sans sous-titres tandis que les parents échangent bons plans et projets de parcours. Repos du guerrier mérité et anticipé.
Vendredi : préparation physique et mentale bis.
- Etape n°2 bis : Nous nous présentons, comme convenu, au bureau Grimaldi à 10h. La dame blonde de l’accueil nous annonce dans un sourire compatissant que le bateau arrive dans la matinée et que nous ne pouvons commencer les papiers qu’à partir du moment où il aura commencé à décharger, il faut repasser à 14h. On ne cherche pas à comprendre les arcanes portuaires, on prend nos cliques et nos enfants et on élabore un second plan de bataille sur le sofa en cuir de l’immeuble. Les bureaux du port ferment vers 16-17h, ce qui nous laisser 2h pour faire toutes les étapes suivantes : auront-nous le temps ? Faut-il réserver un hôtel pour la nuit ? Comme la nourriture nous porte en général conseil, on attend le début d’après-midi pour statuer : on déjeune, on fait la sieste, on se présente à 13h30 à Grimaldi et on voit ; en bref, assez léger comme plan de bataille mais on reprend des forces, ce qui va s’avérer crucial par la suite.
- Etape n°2 ter : 13h30, arrivée à Grimaldi. La fille de l’accueil a été envoûtée par le french monosyllabisme de Célestin, elle nous accorde le privilège d’attendre à l’étage, juste devant le bureau. Un couple de Suisses se faufile dans l’ascenseur avec nous, nous sympathisons dans un mélange d’Espagnol Google translate, d’Anglais, d’Allemand et de Français. 14h, les portes de l’ascenseur s’ouvrent, déversant un flot européen. J’ai juste le temps de garder ma première place, ex aequo avec un Allemand qui tente malgré tout de passer devant moi. Sourire de la dame blonde de l’accueil : le bateau a pris du retard (ah bon), il faut attendre un coup de téléphone.
Chacun prend ses aises, un peu comme dans une tranchée avec moquette en velours et photos de bateau sur les murs. On reste devant le comptoir, talonnés par les Suisses, tout le monde s’assied ; les enfants commencent à dessiner, les langues se délient. Espagnols, Flamands, Allemands, Tchèques, Français, Suisses, nous sommes une bonne quinzaine. Il fait 35° degrés dans le bureau, chacun y va de sa petite photo du véhicule qu’il attend (bien sûr, il y a un an, je me serais bien moquée de cette façon de personnifier sa voiture, mais bon, voilà, on a sorti des photos attendries nous aussi…), de ses voyages précédents, avec plus ou moins de modestie, de ses projets de parcours en Amérique du Sud : des personnalités se dessinent, il y a ceux qui se plongent dans leur guide de voyage, ceux qui discutent en retrait, ceux qui en profitent pour piquer du nez, ceux qui font des blagues, ceux qui s’écoutent parler, ceux qui se chamaillent (ça c’est notre descendance), etc. A 14h45, événement, un couple Franco-Italien fraîchement débarqué du Grande Buenos Aires, notre cargo, arrive : ils donnent des nouvelles des véhicules qu’ils ont vus, tout le monde est rassuré, pas de dégâts. Tout ça nous mène à 15h, sans sonnerie de téléphone. Nous devrons certainement attendre le lundi pour récupérer nos véhicules, ce qui entraîne des frais supplémentaires, dans une ville un peu fantomatique en plein été, les cœurs sont un peu lourds (bon, même si tout ça ce sont des préoccupations de riches quand même). Et c’est à partir de ce moment-là qu’on entre dans le vif de l’après-midi et que tout va s’enchaîner.
15h02 : sonnerie du téléphone, le port est opérationnel, Grimaldi peut délivrer ses sacro-saints documents. A cet instant, l’ambiance bonne enfant se lézarde, l’union européenne se délite. Tout le monde se lève et c’est la ruée vers la signature. Ceux qui parlaient le plus sont aussi ceux qui donnent le plus de coups de coude. Certains, trop pressés, repartent sans le coup de tampon, il leur faudra revenir et perdre de précieuses minutes. Nous n’avons même pas le temps de nous apitoyer sur ce piètre spectacle de Struggle for life, nous obtenons notre papier dans les derniers, l’étape n°2 est passée mais l’administration portuaire ferme ses portes à 16h30 et 50 % de notre équipe fait moins d’un mètre, nous ne sommes pas donnés gagnants.
- Etape n°3 : On fait les quelques centaines de mètres qui nous séparent de la douane du port au pas de course. Nous remplissons le papier de la douane avec les Suisses et présentons la liasse de justificatifs en tous genres. L’employé ne peut toutefois pas nous délivrer de tampon car il manque le numéro de stock. Etienne court à Rilcomar, à 300m, sur le port, pour le chercher. Entre temps, les Espagnols manquent de se faire éliminer car ils n’ont pas d’attestation d’assurance pour le Mercosur. Etienne revient triomphal, avec le numéro, il faut encore enregistrer des documents, c’est interminable, l’heure tourne, il est 16h15 et l’administration portuaire ferme à 16h30. 5mn plus tard, on sort finalement avec le papier.
- Etape n°4 : On court jusqu’au bâtiment de l’administration portuaire à l’allure soviétique, on s’allège de quelques dollars, on récupère des attestations, il est 16h28. Bien sûr, nous sommes sous un soleil de plomb, nous traversons une avenue sans passage piétons à chaque allée et venue, Célestin commence à faire part de son mécontentement, et on le comprend. La situation devient franchement grotesque, nous sommes une dizaine d’Européens à passer de bâtiments en bâtiments en courant après des bouts de feuilles pour récupérer nos maisons sur roues. C’est Koh Lanta version citadine. Bien sûr, on pourrait tout arrêter, prendre les choses avec philosophie et profiter d’un week-end de plus à Montevideo, cependant il faut bien avouer qu’on est ridicules, exténués mais qu’on s’amuse bien quand même… On n’a pas de nouvelles de certains, où sont passés les Tchèques ? Que font les Français ?
- Etape n°5 : On se dirige vers le terminal Buquebus, compagnie en charge des liaisons maritimes avec l’Argentine. Nous devons récupérer une attestation, après vérification de tous nos papiers, et revenir à la douane de l’étape n°3 avant sa fermeture à 17h. Il est 16h45. Le monsieur qui doit nous délivrer l’attestation est occupé et n’a pas vraiment envie de se presser, il nous dit d’aller chercher quelqu’un d’autre, sauf que le terminal est désert. Découragement, on se dit que c’est vraiment cuit, et pourtant on était si près du but… Et là, miracle de la fin de semaine, un sauveur nous apparaît, un autre douanier passe et nous introduit dans l’antre administrative : son collègue se laisse amadouer, sourit et se prend lui aussi au jeu de la rapidité. L’espoir renaît. Il nous renvoie à la douane n°5 pendant qu’il rédige les papiers, on est de nouveau en lice. Apolline est surexcitée, elle compte les étapes, court, vole au bras de son père.
- Etape n°6 : Back to douane. Les portes se ferment devant nous mais nous empruntons un passage de côté, on arrive, on récupère le document (on ne sait même plus vraiment ce qu’on récupère à chaque fois, mais tout semble suivre son cours) et on se dirige vers l’avant-dernière étape.
- Etape n°7 : Rilcomar, fin de la quête, fin de la course. Adoubement, remise du Graal : nos clefs de camion ! Nous y sommes arrivés ! Et comme toujours, c’est la coopération qui aura payé, nous arrivons en premiers avec les Suisses. On fait le tour du camion, on vérifie que tout est en ordre, et on l’emmène à l’ultime étape. On souffle pour se remettre de ce cross estival improvisé.
- Etape n°8 : Buquebus de nuevo. Le monsieur de l’étape n°5 vérifie vaguement notre véhicule, n’ouvre même pas les placards et nous donne le coup de tampon final. Enfin ! Il est 18h. On dit adieu à nos co-finalistes et on sort du port… kilomètre n°1…
Bonjour
Cà y est, je suis moi aussi prêt à suivre votre voyage qui commence un peu en épopée…
Malgré le froid de chez nous (Lorette ), je suis épuisé par la chaleur que vous endurez et les difficultés administratives que vous rencontrez.
On pourrait se croire dans certains autres pays dans le monde…
Savoir si en France on fait mieux…
Bon, on vous sent préparés et motivés.
Et passé ce démarrage épique…on vous envie un peu 😉 😉
Pour ma part je vais aller regarder d’un peu plus prêt sur une carte à quoi ressemble l’ Amérique du sud et dans l’immédiat l’ Argentine…
Comme disent certains: Bon Vent…
super récit!
Il vous en aura fallu de la patience!
C’est génial….quel plaisir de vous lire!!
Hâte de dévorer le prochain article.
Genial! J’ai l’impression de lire un polar! Je suis à fond!
Bonjour les petits français en vadrouille. Nous sommes les français 3C Cartier Brisebras, vos voisins à l’ultime étape à la douane de Montevideo. Nous espérons sur que tout va bien pour vous. Nous nous sommes actuellement en transit à l’aéroport de Madrid et serons ce soir chez nous . Nous commençons à lire votre blog et avons apprécié l’épisode auquel nous avons participé le 12 Janvier ( Koh Lanta Montevideo ) C’était vraiment surréaliste. Nous vous souhaitons une bonne suite de votre voyage et allons continuer notre lecture .
Amitiés Michelle Guy
Merci ! Vous êtes déjà rentrés ?