Bons baisers du Kosovo

Définitivement loin de la carte postale, nous avons passé 10 jours dans l’un des territoires parmi les plus complexes d’Europe, entre cinq drapeaux, quatre monastères et minarets, trois chaînes de montagnes et deux blindés.

Un peu après Skopje, nous passons la frontière du Kosovo. Tout de suite, l’ambiance est particulière. Un monument à la gloire des combattants de l’UCK (mouvement nationaliste albanais qui a combattu pour l’indépendance du pays) et trois drapeaux nous accueillent : celui du Kosovo, de l’Albanie et des USA. Tout est dit. Bienvenue au cœur des Balkans. Sur la toute petite route de montagne que l’on prend, on croise plusieurs blindés, l’air de rien. On s’arrête pour la nuit au détour d’un champ, on allume le chauffage et on révise notre Histoire : plus jeune état d’Europe, autoproclamé indépendant en 2008, reconnu ni par l’ONU ni par l’UE et surtout pas par la Serbie, une guerre qu’on a suivie depuis le JT de Claire Chazal au bout de nos appareils dentaires, des milliers de réfugiés, des bombardements controversés de l’OTAN, une ingérence américaine louée ou critiquée selon les perspectives, une force internationale de maintien de la paix ou à peu près, des Serbes orthodoxes qui se disent en Serbie, des Albanais musulmans ou catholiques qui rêvent d’appartenir à la grande Albanie, bref, pas très lisse tout ça. Rajoutons les ours, les loups, les vipères, les centrales à charbon et le relief montagneux, ça fait quand même un peu rêche comme coin de prime abord. Bon ceci dit, c’est aussi pour cela qu’on est venus, pour faire un peu de géopolitique sur roue.

On commence le voyage par la belle ville ottomane de Prizren, au Sud Ouest. Nos repères sont là : bureks, pâtisseries orientales, déchets, conduite de fous, animaux dans des endroits impromptus, grosses voitures, forêts et montagnes, finalement, ils se déchirent tous depuis 150 ans en mettant en avant leurs différences mais vus du cockpit de Bison, les Balkans semblent beaucoup plus homogènes que cela. Prizren est une ville paisible aux pieds des montagnes. Sa rue principale offre une incroyable collection de robes de mariage, tenues traditionnelles, robes orientales et parures dorées. Un peu plus loin, on admire une belle mosquée, des échoppes de Qebab, version balkanique du kebab turque avec des saucisses de boeuf ou de mouton. Nous nous mettons à la recherche d’un bivouac un peu tardivement et sous la pluie. Comme il y a très peu de voyageurs ici, l’application coopérative que nous utilisons d’habitude ne nous sert à rien. Nous retrouvons nos bons vieux réflexes, nous demanderons à dormir sur un champ privé. La vallée est encaissée, au détour d’un virage nous voyons un espace dégagé à proximité d’un monastère à moitié détruit. Nous nous engageons jusqu’à un poste de police surmonté d’un mirador. Ambiance. Les monastères orthodoxes – donc serbes- sont sous protection militaire depuis 25 ans, 24h/24h. Il est intéressant de voir comment le processus nationaliste s’est cristallisé sur des symboles particuliers : les drapeaux et l’architecture. Je détruis ton église, ta mosquée, ton monastère pour affirmer mon identité et je place mon drapeau pour conforter mon pré carré. Vérification de nos passeports, photos du véhicule, les moines acceptent de nous laisser utiliser le parking. Notre “dobro joutro” (bonjour en serbe, chacun sa langue ici, il faut bien contextualiser son interlocuteur avant de prendre la parole) est apprécié. Le moine Dionysie nous propose de nous ravitailler en eau dans l’enceinte du monastère. Puis il nous propose de dîner à l’intérieur. On accepte avec joie. On s’installe au bout d’une immense table, les moines ont déjà dîné mais Dionysie reste avec nous, il parle très peu anglais, on utilise google tanslate serbe-français. Le repas est très bon : soupe, légumes marinés, avjar (préparation traditionnelle à base de poivron), rakia of course qu’il n’est pas envisageable de refuser, vin du Kosovo, bureks, baklavas, olives…un festin – vegan, carême orthodoxe oblige. Nous sommes invités à dormir dans le monastère, parce que “nous venons d’un pays lointain”. Nous acceptons car nous sentons que cela leur fait plaisir. Les enfants sont ravis d’autant que la chambre ressemble plus à un duplex qu’à une cellule. Un petit groupe de voyageurs serbes arrive. Ils nous offrent un pot de confiture maison et des pâtisseries. Etienne passe la soirée à discuter avec eux, et à boire de la rakia of course. Le lendemain, hors de question de partir avant le petit-déjeuner, après une looonnngue liturgie, nous repassons à table, même festin. Une jeune fille se met à des chants populaires (Cliquez pour écouter). Elle a une très belle voix. L’émotion de l’assemblée est palpable, on ne comprend rien aux paroles mais on saisit qu’elles évoquent le Kosovo. On est au seuil des histoires complexes de chacun dans le sillon bien perturbé de l’Histoire, les voyageurs reviennent en pèlerinage sur une terre qu’ils ont quittée. Nous repartons les bras pleins de cadeaux : des icônes, de la nourriture, 3 litres de vins, une croix en bois d’olivier. C’est aussi avec émotion que nous saluons les moines. Nous sommes tous, enfants compris, ébahis devant un tel sens de l’hospitalité. Nous repartons aussi avec une mission : apporter deux icônes au monastère orthodoxe le plus proche de chez nous, dans le Vercors a priori, comme cadeau du monastère des saints archanges de Prizren. Ce sera une prolongation du Kosovo à notre retour en France.

Nous passons une semaine à faire des balades, à visiter des monastères médiévaux gardés par la KFor (force de sécurité internationale pour le maintien de la paix au Kosovo), dont ceux de Decani et de Pec, et de petites villes. La nature est belle au Kosovo mais vraiment gâchée par la pollution. L’eau des cascades et des rivières est extrêmement sale en l’absence de stations d’épuration, les abords de lacs et les sentiers sont jonchés de déchets. En plus, il est déconseillé de sortir des sentiers battus en raison des mines antipersonnelles restantes et des animaux sauvages. Lors d’une balade, Célestin a attrapé un bâton à quelques centimètres d’une énorme vipère cornue, l’une des plus dangereuses d’Europe (20 fois plus de venin par morsure que celles de chez nous quand même, il a eu un peu chaud). C’est vraiment dommage car les paysages sont beaux, les montagnes enneigées dominent les plaines vert tendre. Nous faisons souvent un peu l’attraction. Des kosovares offrent des bonbons aux enfants à plusieurs reprises, une sœur catholique donne un chapelet à Mahault, tout le monde est prêt à nous aider pour trouver notre chemin. Notre présence ici renvoie de la fierté aux habitants sans doute, le tourisme en étant à ses balbutiements. Nous sommes accueillis avec de larges sourires et nous nous sentons très en sécurité ici.

Nous arrivons enfin à Pristina. C’est là qu’Apolline prendra en avion en direction de Genève pour faire son voyage dans le voyage. En effet, elle revient une semaine en France pour participer aux épreuves de sélection de la section sportive qu’elle souhaite intégrer dans son collège. C’était un sujet un peu épineux : comment concilier son projet qui pourrait déterminer les trois années à venir avec notre projet de voyage ? Après réflexion, on a donc tranché : elle prend l’avion Pristina – Genève (merci les diplomates onusiens) et sera prise en charge par les grands-parents et les amis. Elle nous rejoindra avec ses grands-parents maternels en Hongrie. Nous avons établi un camp de base au sanctuaire des ours aux alentours de Pristina pendant les 4 jours avant le vol. C’était un peu trop anticipé mais il est toujours difficile de savoir comment gérer les contraintes de dates pendant un voyage long. La capitale n’est pas très belle. On sent qu’elle a poussé un peu de manière anarchique, en fonction des aléas diplomatiques, maintenue sous perfusion par la diaspora (1/3 de l’économie du pays reposerait sur elle) et avec les deux centrales à charbon les plus polluantes d’Europe comme voisines. Pas idyllique. Néanmoins, le sanctuaire des ours, géré par une association autrichienne qui a récupéré des ours en cage dans des restaurants albanais pour leur offrir une deuxième vie plus sauvage, nous offre un bon havre de paix. Nous découvrons un dernier monastère dans l’enclave serbe de Gracanice ainsi que les urgences kosovares grâce à l’épisode fakir de Mahault qui a essayé d’avaler des agrafes – moins coulant qu’un baklava dans la gorge.

C’est une nouvelle étape du voyage qui s’ouvre, à 5 pendant deux petites semaines avant un bout de chemin en famille élargie – grands-parents, cousines, oncle et tante-. Nous avons aimé traverser ce petit pays encerclé par les montagnes, à l’Histoire acérée mais à l’hospitalité éprouvée. Nous prenons la direction du Monténégro, via l’Albanie du Nord, pour revoir un peu la mer avant de la quitter pour longtemps, puis de la Bosnie-Herzégovine. A suivre.

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Une réponse à Bons baisers du Kosovo

  1. Chococo dit :

    Les ours 🐻 sont vraiment trop mignons ❤️🧡💛💚💙💜🤎🤍🐼

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