La Pologne, des briques et des cigognes

Manteau neigeux. Chalets en bois parsemés dans la montagne ou regroupés en village. Des sapins partout. De gros flocons sur le pare-brise. Température polaire. Bienvenue en Pologne.

Le massif des Tatras sert de frontière entre la Slovaquie et la Pologne. On pourrait presque skier. Nous roulons jusqu’à Cracovie, bien au chaud dans notre chalet sur roue. Les randos dans les Carpates ce ne sera définitivement pas pour cette fois. A Cracovie, nous trouvons un parking en plein centre de la vieille ville, parfait. Place du marché, ruelles médiévales, immeubles colorés, quartier juif, halte au café Harry Potter et ses cocktails magiques, Dame à l’hermine de Léonard de Vinci : Cracovie est vraiment une très belle ville et on a plaisir à la découvrir. Nous profitons de la présence des grands-parents baby-sitters pour fêter l’anniversaire d’Etienne dans un des innombrables bars de la ville. Une bière, un concert, aucun enfant à la ronde, on aurait presque l’impression de faire une soirée étudiante.

Le lendemain, autre ambiance. Nous visitons Auschwitz-Birkenau. Apolline nous accompagne, les grands-parents gardent (oui, décidément) les trois plus jeunes. La visite dure trois bonnes heures, avec un guide qui donne de la profondeur historique, politique et émotionnelle à ses explications, dans un anglais version polonaise. Les visites guidées sont obligatoires et le site a fait le choix de ne pas développer l’audio guidage pour conserver la bonne vieille interaction humaine, pour un tel lieu c’est plutôt bienvenu. Il est très intéressant de réentendre la vision polonaise de la seconde guerre mondiale et de l’Holocauste. Il nous rappelle que la “libération” de la Pologne par l’armée rouge a été vécue ici comme une nouvelle invasion, tout aussi cruelle que la première, que les camps de concentration ont d’abord été construits pour les prisonniers polonais au tout début de la guerre. Il nous parle de rescapés de la Shoah avec lesquels il a eu l’occasion de faire des visites de Birkenau, de Maximilien Kolbe qui s’est porté volontaire pour endurer la mort par la faim à la place d’un père de famille, de Simone Veil, sauvée de justesse par une personne qui l’a conjurée de se vieillir de deux ans à son arrivée à Birkenau, de la communauté juive polonaise qui a été exterminée en quasi-totalité, du processus d’industrialisation de la mort de millions de personnes. Nous censurons quelques endroits pour Apolline que nous ne voulons pas trop traumatiser, elle ne comprend pas toutes les informations en anglais et c’est tant mieux. Elle aura le temps d’approfondir cette face bien sombre de notre Histoire un peu plus tard. Le parcours se termine sur le monument commémoratif qui, dans toutes les langues, met en garde l’humanité pour que plus jamais un tel génocide ne soit possible. Difficile de ne pas penser, comme en filigrane, à ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée en ce moment. 80 ans de Birkenau à Rafah. Complexes méandres de l’Histoire.

Nous faisons un arrêt à Cestochowa, haut lieu spirituel polonais qui rassemble des milliers de fidèles autour de sa Vierge noire. La présence des grands-parents nous permet de changer de rythme. Les enfants passent d’un camion à l’autre, nous pouvons faire des équipes pour les repas, l’école, les activités manuelles, les jeux de société, les sorties.

Grues

Nous passons deux jours à Varsovie. En 1945, il ne restait que 15% de la ville. Elle a été reconstruite à l’identique et c’est une réussite. Nous l’avons trouvée agréable et aérée. Le centre des sciences Copernic – star polonaise avec Marie Curie, Lech Walesa et st Jean Paul II- a fait la joie des enfants -et de leur papa- pendant une bonne demi-journée d’expériences tous azimut.

Musée de l’histoire des Juifs polonais, le bâtiment représente la traversée de la mer Rouge.

Nous filons vers la Baltique. Arrêt dans la gothique Torun, ville natale de Copernic, puis au château de Malbork. C’est le plus grand château en briques jamais construit. Il a été édifié par l’ordre des chevaliers teutoniques qui ont marqué la région pendant plusieurs siècles. Sa restauration est bien faite, la visite est très instructive. Les enfants ont pu se plonger dans la vie d’une cour médiévale pendant quelques heures. Le musée de l’ambre, à l’intérieur, permet d’en apprendre davantage sur cette résine du fond des âges qui a fait la fortune de l’ordre teutonique et de tout le pourtour de la mer Baltique pendant des siècles. Au Moyen-Âge, elle valait plus que l’or.

Les bords de la Vistule, le fleuve qui traverse le pays, nous offre de beaux bivouacs au milieu des cigognes. A Sopot, LA station balnéaire polonaise, nous trempons un doigt de pied dans la Baltique glacée et faisons des châteaux de sable entourés par des centaines de Polonais venus profiter de la météo presque estivale pendant leurs vacances de printemps.

Rayon vodka d’un petit supermarché

A quelques kilomètres de là, la ville de Gdansk est surnommée “la perle de la Baltique”. Les rues sont bondées mais restent magnifiques. Elle a été entièrement reconstruite après la guerre. C’est ici que la seconde guerre mondiale a commencé (Hitler voulait récupérer la Dantzig que le traité de Versailles avait accordée à la Pologne) tout comme les vastes grèves du début des années 80, menées par Lech Walesa et Solidarnosc, qui ont participé à l’effritement du bloc soviétique. Encore une fois, nous avons dormi en plein centre. Il est vraiment très facile de trouver des bivouacs, en ville comme en pleine campagne, dans le pays. Les Polonais semblent eux-mêmes assez adeptes de la nuit sous la voie lactée en van, camion, voiture, caravane un peu partout sans que cela ne pose de problème à personne. Pratique pour nous. On fait des emplettes dans les magasins d’ambre et on profite une dernière fois des grands-parents pour une soirée en ville et la visite du musée de la seconde guerre mondiale. Sa scénographie est vraiment efficace et permet de décentrer un peu notre vision de l’événement. De la montée des nationalismes et des crises économiques aux bombes atomiques puis au rideau de fer, on passe toute la fin du 20ème siècle en revue. Ce qui est juste un peu troublant, c’est de prendre vraiment conscience des points communs entre le contexte de 1939 et l’époque que nous vivons…A Gdansk, nous apprenons qu’Apolline n’a pas été retenue dans la section sportive pour les sélections de laquelle elle était revenue en France et s’était entraîné depuis le début du voyage. Pas assez rapide pour la pédagogie de la performance et la logique compétitive de notre système. Un peu difficile mais assez formateur néanmoins de vivre un échec à cet âge.

Nous disons au revoir aux grands-parents qui continuent vers l’Ouest et prenons la route de la Mazurie et des grands lacs. Il est bien entendu impossible de passer par l’enclave russe de Kaliningrad pour rejoindre les pays baltes. La ville de Kant a sans doute du charme mais les occidentaux n’y sont clairement plus les bienvenus et nous prévoyons plutôt de finir le voyage au bord d’un fjord norvégien que dans un goulag sibérien. Nous passons nos dernières journées et nuits polonaises au bord des lacs, dans une belle nature, à observer les oiseaux, à nous promener, à mener une vie simple comme on l’aime sous un beau soleil printanier. On sent que la biodiversité est plus préservée que chez nous, sans doute grâce aux bocages.

Ravis de ces deux semaines en Pologne, nous entrons en Lituanie, prêts pour les tourbières, les forêts de bouleaux et la route du Grand Nord.

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3 réponses à La Pologne, des briques et des cigognes

  1. Jean Paul Sut dit :

    Bonsoir
    C’est toujours agréable de vous suivre dans l’ Europe centrale fortement marquée par l’Histoire douloureuse passée, récente ou actuelle toute proche.
    Maintenant que ma fille m’a fait voir l’existence de la rubrique: “Nos itinéraires de voyage” que je réclamais (Oups), je mesure mieux l’étendue de votre parcours.
    Vous devez vraiment faire l’essentiel de tous les Pays traversés.
    Les photos permettent de mieux apprécier la beauté des paysages et des villes bien plus que ce que j’imaginais.
    Bonne continuation…

    • ea2c dit :

      Bonjour.

      J’avais un peu de retard sur l’itinéraire mais c’est rattrapé depuis hier !
      C’est vrai que nous avons visité l’essentiel depuis notre retour en Union Européenne (depuis la Hongrie). Les Pays Baltes par exemple sont assez petits, peu variés d’un point de vue architecture, paysages. Donc on passe assez vite en effet. Nous prenions beaucoup plus le temps en Italie, Grèce, Crète et Balkans.
      Nous avons aussi l’objectif de passer beaucoup de temps en Norvège, donc ne pas arriver trop tard au Nord.
      A bientôt
      Etienne

  2. jacqueline diaz dit :

    Ravie pour vous, désolée pour la poulette ( c’est la sélection qui est nulle surement pas elle )
    Merci de nous faire partager vos découvertes, de les commenter intelligemment mais aussi de ne pas oublier le reste du monde ET de le dire.
    Bisous bonne route
    Bibi

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