La vie quotidienne dans 24m3

Voici un article sur notre vie quotidienne. Il s’adresse à ceux qui se posent des questions sur un futur voyage et se nourrissent de partages d’expérience ou à ceux qui sont simplement curieux d’en savoir plus.

Quand nous avons parlé de notre projet d’un nouveau voyage au long cours, on a souvent lu un vague sentiment mêlé d’effroi et d’empathie dans le regard de nos interlocuteurs qui semblait souffler “non, franchement, vous allez vraiment survivre à 8 mois dans 10m2 à 6 ?”. C’est vrai que l’idée peut avoir des petits airs de confinement volontaire, ce qui ne fait plus vraiment rêver personne depuis 2020.

De notre côté, forts de notre première expérience en Amérique du Sud, nous avions définitivement évacué l’angélisme du voyage ou de l’instruction en famille et étions très au clair sur les difficultés amenées par la vie en continu dans un espace réduit. Durant les quelques mois de préparation, nous avons essayé de rendre le camion le plus fonctionnel possible, nous avons passé du temps à étudier la question de l’école à la maison, nous avons anticipé ce qui pouvait favoriser la cohabitation. Il restait juste le brin de folie nécessaire car oui c’est un quand même un peu fou d’imaginer passer aussi longtemps, aussi nombreux, dans un espace aussi étroit mais c’était la condition pour vivre l’aventure et c’était même une partie intégrante d’un voyage de ce type :  aller au-delà de ses propres limes intérieures.

Après quatre mois de voyage et des poussières, nous pouvons faire le constat que la vie quotidienne est finalement beaucoup plus légère que prévue. Clairement, il y a parfois des moments où, alors que tu changes une couche “qui va bientôt être au propre ?” tout en faisant réciter des tables de multiplication “combien font 8×9 ?”, en même temps que tu surveilles la cuisson des pâtes “qui a jeté le sachet, on ne voit plus le temps de cuisson ?”, des boucles sur le cahier “tiens bien ton stylo en pince”, que tu dictes un texte avec le plus de participes passés possibles “elles sont partieeesss” et que tu regardes les spots Park4night pour le lendemain, tu te dis que tu mettrais bien tout ce petit monde sur des chaises d’école ou un tapis d’assistante maternelle pour siroter ton mojito devant le coucher de soleil avec pour seule nuisance sonore le pépiement des oiseaux. Cependant, 95% du temps, tout se passe bien, et on essaye de composer avec les 5% qui restent en cernant au mieux les besoins de chacun pour désamorcer les tensions. Bon, ça ne fonctionne pas toujours bien sûr parce qu’on est dans la vie réelle et pas dans un manuel de CNV. Voici un bref aperçu :

Vanschooling

Concernant l’école on se situe pile entre “on les laisse faire leurs propres expériences et découvrir les notions par eux-mêmes parce que le voyage c’est une école de la vie” et “on fait 3h par jour avec une récré de 10mn, 5 leçons à aborder et 2 productions écrites”, un peu hippies, un peu psychorigides. Concrètement, on n’est pas en mesure d’avoir un rythme d’école très calé comme le font la plupart des voyageurs, car on doit aussi respecter le rythme d’un bébé au milieu. On a opté pour la souplesse rigoureuse. On fait l’école quand c’est le bon moment, en fonction du lieu, de la météo, des visites, de l’humeur, des rencontres et on essaye de fractionner, à la fois parce que c’est plus simple pour la logistique et que les neurosciences valident. En moyenne, les enfants travaillent 1h-1h15h min par jour selon le niveau de chacun, 7 j/7, sans weekend ni vacances, ce qui est suffisant pour acquérir les notions du programme, découvrir des sujets, travailler les points faibles et développer les points d’intérêt. Ils lisent au minimum 2h par jour et on essaye de faire de la musique une fois par semaine.

Comment on s’y est pris ? “Grégoire le tiroir des savoirs” est parti rempli de fichiers d’entraînement de GS, CE2, 6ème. On nous a souvent demandé pourquoi on ne prenait pas le Cned : ce n’est financièrement plus accessible pour les familles de voyageurs (environ 1000 euros par tête), c’est une contrainte importante car il y a des échéances pour rendre les devoirs, on trouve les contenus parfois inégaux. Avant le départ, on a demandé des conseils à nos amis professeurs des écoles et à nos collègues pour acheter les bons fichiers, les bonnes méthodes afin que les enfants soient en mesure de travailler en autonomie. On complète avec les ressources internet quand on a de la connexion, notamment sur le site Lumni, et la créativité de chacun, en lien avec ce que l’on découvre ou visite. On fait parfois école dans la nature, on se sert de jeux comme supports. Pour les langues, on complète avec des films et des applis en ligne. La question administrative se règle avec un simple mail car dès lors que l’on quitte le territoire, on n’est pas soumis à la loi sur l’instruction en famille. Les enseignants de nos enfants nous ont soutenus dans la démarche et nous sommes en lien avec certains d’entre eux.

Séance de maths
Séance Harry Potter…
Séance d’aquarelle
Baguettes magiques made in Hogwarts DIY

Bien entendu, il y a des jours où l’école fonctionne moins bien que d’autres, des moments où la motivation fait défaut, où la patience s’use, où la soif de connaissances se transforme en soupe à la grimace. La plupart du temps néanmoins, l’école est plutôt un moment de partage. Les enfants gagnent en autonomie et aiguisent leur curiosité. De notre côté, on a plaisir à les voir progresser et à accompagner ces découvertes. Concrètement, en primaire, on met l’accent sur les maths et le français. En 6ème, on aborde toutes les matières, en allant à l’essentiel. Les enfants font parfois des exposés ou des projets en lien avec ce que l’on vit. Sans surprise, chaque parent s’occupe principalement de ses domaines de prédilection. Le fait d’être du métier est plutôt un avantage : on connaît les attendus finaux, donc on va droit au but, et on a confiance dans ce processus d’apprentissage. On sait que, sauf difficulté particulière, les enfants qui reviennent d’une déscolarisation pour voyage en famille n’ont aucun problème à revenir dans le système classique, bien au contraire. Pour autant, la parenthèse de l’IEF se refermera avec le voyage pour nous parce qu’on croit (encore) aux vertus de notre système scolaire (si, si) et qu’on aime bien avoir une vie en dehors de nos enfants – et vice versa.

L’intendance

L’intendance se résume surtout à : remplir le réservoir d’eau tous les 3-4 jours environ, à s’occuper des toilettes sèches, à faire une lessive dans une laverie automatique toutes les 2 ou 3 semaines, à conserver un niveau de rangement et de propreté compatibles avec l’espace donné et la présence d’un bébé à quatre pattes qui avale tout ce qui se met sur son passage, à faire la vaisselle à la main et à l’essuyer (c’est là qu’il est intéressant d’avoir beaucoup d’enfants !). Je n’irais pas jusqu’à dire que le voyage longue durée permet de réenchanter les tâches domestiques (vanestiques) mais on peut en tout cas les appréhender différemment. On revient à une certaine simplicité : on cherche l’eau dont on a un juste besoin, on économise le linge, on cuisine sans faste, tous les objets emportés ont une utilité avérée et une place précise, on prend le temps pour accomplir tout ce qui est nécessaire. Bon, ceci dit, si le dépouillement pouvait se vivre avec un lave-vaisselle, je ne dirais pas non pour autant…

Le budget

Voyager au long cours demande d’avoir des économies bien entendu mais ne s’adresse pas à des nantis pour autant et on voit d’ailleurs toutes les catégories socio-professionnelles parmi les voyageurs que l’on rencontre. La sociologie des voyageurs croisés en Europe en 2024 est assez différente de celle des voyageurs d’Amérique du Sud de 2017, plus variée avec souvent des profils qui n’avaient pas forcément – voire pas du tout – l’habitude de voyager auparavant. Il y a sans doute plusieurs facteurs : le budget d’un voyage eu Europe plus modulable que sur un autre continent, la pandémie et l’explosion des ventes de véhicules types van/ camping-car/ fourgon aménagé, l’apparition des applis et des RS qui modifient totalement la manière d’appréhender un voyage, etc. On voit à la fois des familles qui partent de quelques mois à un an, mais aussi d’autres qui ont fait du nomadisme leur mode de vie après avoir tout quitté.

Le budget est très variable en fonction des pays : élevé en Italie et en Grèce (sauf les musées dans cette dernière), bas dans les Balkans (surtout Macédoine du Nord, Albanie, Kosovo, Bosnie) ; un peu moindre par rapport à la France en Hongrie, Slovaquie, Pologne, pays Baltes. On s’attend à des prix forts en Scandinavie. Le nôtre n’est pas illimité – à peu près l’équivalent de 3 semaines de ski en station ou de 2 semaines aux Bahamas all inclusive pour un voyage de 8 mois – ce qui induit des choix, mais on est riches de temps et d’espace !

Les bivouacs

Nous sommes en autonomie complète (panneaux photovoltaïque, purificateur qui rend n’importe quelle eau potable, toilettes sèches, chauffage gasoil) ce qui nous affranchit des campings. Notre auberge est donc à la Grande ourse et on dort où bon nous semble, sur les plages, en bord de lac ou de rivière, dans un champ, sur des places de village, à l’orée d’une forêt, au détour d’une rue, etc. Nous avons eu quelques rares déconvenues depuis le début du voyage, surtout en ville avec des rodéos nocturnes, et en Crète, sur le plateau du Lassithi, où nous avons reçu des jets de pierres par des ados en mal d’aventure. A part ces quelques soirées qui nous ont forcés à changer de bivouac alors que tous les enfants étaient endormis, nous trouvons très facilement des spots. On se sert de l’application collaborative Park4night comme tout le monde mais on aime aussi chercher des coins pour la nuit au petit bonheur la chance, en demandant à des gens si on peut se garer dans leur pré, leur allée, devant leur église, ce qui est souvent l’occasion d’une belle rencontre. On essaye d’avoir une juste distance avec ces applications de voyage (Park4night, les groupes Whatsapp de voyageurs, polarstep) : elles font « gagner » du temps (enfin, voyager c’est plutôt perdre du temps avec délectation) et permettent parfois de retrouver des voyageurs mais elles entraînent aussi un certain lissage, plus proche parfois de la consommation depuis son écran de smartphone que de l’aventure, Nicolas Bouvier lisant Camping-car Magazine

Dans certaines grandes villes, nous avons payé des stationnements en parking 24/24h parce que c’était plus commode. En ce qui concerne les trajets, nous utilisons Osmand, application GPS opensource qui s’utilise hors ligne.

Le rythme

C’est un peu une lapalissade de dire qu’il est propre à chacun et on voit toutes sortes de manières de voyager au long cours chez les familles que l’on rencontre. Pour notre part, on n’est pas de grands contemplatifs (et là, ceux qui nous connaissent sourient devant cette litote) et l’idée même de passer d’un siège de conduite à une chaise de camping nous donne des fourmis dans les jambes. On préfère découvrir sur nos deux pieds, marcher sur un chemin de rando, dans une ville ou une salle de musée et on reste rarement deux nuits de suite au même endroit. On avance au gré des humeurs, des rencontres, de la météo, en se laissant aussi guider par l’imprévu. Nous ne sommes pas des adeptes de la rhétorique du « coup de cœur », de « l’incontournable », du « faire » et on apprécie aussi les chemins de traverse, les endroits peu touristiques, les paysages qui ne coupent pas forcément le souffle mais permettent de respirer un bol d’air pur et de vie simple. Les trajets se font souvent durant des temps de sieste de Mahault. En tout cas, la sensation de liberté d’un voyage de ce type réside pour nous dans l’affranchissement de l’horloge. Nous n’avions pas de trajet prédéfini, simplement les grandes lignes d’endroits qui nous faisaient rêver et une bonne pile de guides de voyage, le reste se fait au fil de la route.

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