La Norvège, de Kirkenes au Cap Nord

Nous entrons en Norvège par de toutes petites routes qui traversent des hameaux samis, des marais, de grands espaces de taïga mi-champ de mousse, mi-végétation rase où viennent paître des troupeaux de rennes. Et soudain, au détour d’un virage bosselé (difficile l’entretien des routes à cette latitude) il apparaît, majestueux, eau bleu sombre, montagnes terreuses avec des plaques de neige ça et là : notre premier fjord ! A quelques kilomètres de la frontière russe, Kirkenes est un port de pêche sur les bords de la mer de Barents qui a vu son activité économique très réduite depuis l’invasion russe en Ukraine. C’est aussi le terminus de L’Express côtier, bateau mythique qui longe la côte norvégienne de Bergen à Kirkenes. Nous sommes à l’extrême pointe orientale de la Norvège, à 200 km seulement de Mourmansk.

Nous poursuivons notre immersion arctique sur la péninsule de Varanger. C’est un haut lieu de l’ornithologie en Europe car on peut y observer des oiseaux du grand froid. Nous y passons plusieurs jours avec un beau ciel bleu. La parade nuptiale du combattant varié a attiré ornithos chevronnés et photographes animaliers professionnels. A chaque petit étang, baie, plage abritée, c’est le même spectacle : des silhouettes sombres couchées dans l’herbe pointant longues vues et téléobjectifs de compétition face à de minuscules oiseaux aux perruques Louis XIV qui s’écharpent avec panache. Une onde d’inquiétude parcourt l’assemblée muette quand on débarque avec nos oisillons, jumelles autour du cou, mais comme on a de vraies allures de débutants ravis, on attire plutôt la sympathie de ces passionnés qui partagent explications, conseils, bons spots avec nous. On fait donc de l’opportunisme ornitho et on voit plein de beaux oiseaux dont des pygargues à queue blanches qui vivent en nombre ici et qu’on observe chasser sur la plage, des lagopèdes des saules, des eiders à duvet, des mouettes tridactyles qui nichent dans les falaises et un plongeon à bec blanc, sorte de grand canard, auquel on décerne la palme du volatile ayant le plus provoqué l’enthousiasme du public.

combattant varié en tenue de marquis
sterne
pygargue à queue blanche
labbe parasite
moutons…

A Vardo, petite île à la pointe de la péninsule reliée par un tunnel sous-marin, on ouvre bien les yeux pour essayer d’apercevoir baleines, phoques et même morse (ça c’est vraiment rare) sans succès. L’activité du village repose sur la pêche au crabe royal, espèce invasive introduite par les soviétiques dans les années 60 et qui se vend à prix d’or sur les marchés asiatiques et nord américains. Etienne va voir un pêcheur qui décharge sa cargaison du matin pour savoir si l’on peut lui acheter du poisson frais (parce que bon, le poisson en tube, ça nous tente moins quand même). Le marin lui explique que tous les poissons partent directement à l’exportation et que les prix prohibitifs du crabe (150-200 euros/kg) dissuadent les locaux d’en acheter mais il lui propose de voir avec le capitaine s’ils peuvent nous vendre un peu de poisson. Finalement, on discute avec eux (tout le monde parle anglais ici, comme en Finlande), ils montrent quelques prises du matin aux enfants et de fil en aiguille ils nous offrent un gros cabillaud de 3-4kg avant de nous envoyer voir “Rony la loutre” sur le quai d’à côté. Ce dernier nous sort un grand sac de pattes de crabe royal de 2-3 kg et nous le tend avec un sourire : cadeau. Incroyable ! Nous les remercions chaleureusement, surpris d’une telle générosité. Nous rentrons au camion avec des mets de choix que nous cuisinons pour le dîner. Le cabillaud est délicieux, le goût du crabe royal très fin. Notre table face aux goélands prend des allures de trois étoiles – bon, à cela près que c’est à nous de faire la vaisselle ensuite.

Nous enchaînons les petites balades sur les landes de la toundra, une paire de jumelles dans les mains, entre les fleurs sauvages et les rennes puis nous quittons Varanger pour aller plein Ouest, le long des fjords de la mer de Barents. Sur un bivouac particulièrement beau, alors que l’eau est très calme, nous observons longtemps des phoques puis des dauphins nager. Les enfants sont émerveillés, et nous aussi d’ailleurs. La nature est vraiment magistrale en Norvège.

L’anniversaire d’Éléonore approche. Où le fêter ? Tout au Nord, pardi ! Nous nous insérons donc entre deux campings cars sur la route du Cap. On n’est clairement pas seuls au bout du monde. Une bonne part des retraites allemandes, françaises et néerlandaises semblent être dépensées ici au mois de juin, c’est un flot presque ininterrompu. La voie royale semble partir du Sud Suède pour bifurquer en Finlande à hauteur de Rovaniemi, le “village” de la surconsommation – euh, du père Noël – pour aller tout droit au Nordkapp et redescendre jusqu’au sud de la Norvège. Bison fait un peu de 4×4 pour nous offrir des bivouacs loin de tout puis nous mène, fier et brave, jusqu’au bout du continent européen. La vue est dégagée, nous marchons autour du globe qui fait face au Svalbard et au pôle Nord, au milieu des bus de touristes nippons fraîchement débarqués de leur ferry. Nous y voilà. Après l’extrême sud en Crète, voici la pointe septentrionale de notre vieux continent. Eléonore souffle sa sixième bougie, on prend une photo de l’équipage, on remercie Bison II, doyen du parking, de nous avoir conduits jusque là sans faillir – et vice versa.

soleil de minuit
l’hiver, il faut attendre ici, pour partir en convoi à heure fixe derrière une déneigeuse…

Nous visitons les jolis villages de pêcheurs autour du cap Nord, Skarsvag et Honningsvag. Célestin y fait sa première partie de pêche avec son papa. Il sort, ravi, trois gros colins de l’eau, c’est une réussite. A nous les eaux poissonneuses de Norvège, la route du Sud, les merveilles de la nature sauvage et les tubes de bacon !

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